Possessions territoriales ancestrales
La courte présentation ci-après doit permettre une visualisation rapide et ramassée de nos chefferies et domaines ancestraux, tels qu’ils émergent, avec le temps et dans un espace compris à l’intérieur de deux entités phares de la Grande Orientale, savoir le Bas-Uélé et la Tshopo ; tandis qu’au passage, nous saluons la mémoire de quelques-uns des bâtisseurs. L’objectif directement poursuivi ici est d’asseoir nos positions et assurer, aux générations qui suivent, le meilleur positionnement pour une contribution effective au développement de la province historique et de la RD Congo dans son ensemble.
EXTRAITS GENEALOGIQUES
(à venir)
De Wanie-Rukula aux Stanley Falls – Le Conquérant Moganzulu Meme
Né vers 1852, le Conquérant Meme est la grande figure familiale des temps modernes. Il n’a pas encore trente ans lorsqu’il effectue des incursions dans le sud de ce qui devient la province orientale, à la tête de troupes (arabisées) Bambundje. En quête d’opportunités diverses, sa suite comprend des hommes de corvées, dont certains intègrent sa famille (formant la branche arabisée1).
Lorsqu’en 1874, HM Stanley arrive aux Falls, Meme et ses troupes ont déjà conquis de larges terres, sur un territoire partiellement arraché aux Bakumu de la Lubuya, tandis que le Conquérant lui-même s’installe à Wanie-Rukula2. La scission est certaine entre d’une part, les troupes et de l’autre, la famille du Conquérant (cf. Chroniques et anecdotes familiales). D’où il vient sans doute que, bien que leader d’arabisés, Meme n’adopte pas la religion musulmane ; au contraire, sa famille produit de fervents chrétiens. Et peut-être faut-il également évoquer ici l’influence de la Nubie voisine, où le christianisme a connu son temps de rayonnement3. Le Conquérant termine sa vie chez lui, dans son Uélé natal.
La Chefferie Mobenge du Chef Moganzulu Gela
Né vers 1871, Gela, fils de Meme, ne montre aucune affection particulière pour la région des Falls. Il la visite néanmoins, notamment en 1926-1927, alors que son petit-fils, Joseph Makanga Baruti, convole en justes noces avec Salima Marthe Ikenge-Mbuli4. A cette époque, Gela est à la tête de Mobenge, chefferie à statut particulier, considérée par la colonie comme une entité indépendante de la juridiction de Buta, et qui abrite le premier des dix centres de négoce de la région5. Il s’agit d’une situation ancienne.
En effet, dans une notice biographique consacrée à un trafiquant nubien opérant dans les Uélé aux alentours de 1882, l’auteur, M. Coosemans6 rapporte un fait intéressant à signaler ici : ce trafiquant (alors dans la quarantaine) se livre au commerce d’ivoire, qu’il fournit au gouvernement égyptien7 ; que, devenu puissant, et fort de l’idée que la région du sud de l’Uélé regorge de cette denrée précieuse (aussi bien que de la force humaine nécessaire aux captures et leur acheminement) il réussit à s’aliéner le chef de Mobenge, et faire fleurir ainsi son commerce.
Ceci nous donne une idée assez précise des activités auxquelles s'adonnent alors les autochtones de la région et, pour certains d'entre eux, l’esprit de voyage et de conquêtes qui les animent. Quoiqu’il en soit, quelques décennies plus tard, la chefferie Mobenge, centre d’échanges commerciaux, se voit maintenir un statut particulier par la colonie, avec à sa tête le chef Gela, fils de Meme.
Chefferie Makanga, Secteur Lubuya-Bera et le Territoire entre la Lindi et St-Gabriel
L’emplacement exact du village/chefferie Makanga parait incertain aujourd'hui. Depuis que les cartographies établies par l’administrateur de territoire de la colonie D. Halleux8 ont disparu, il semble n'en rester que de vagues indications -à l’instar de celle fournie par Benoit Verhaegen, qui parle d’une quinzaine de chefferies en périphérie de Kisangani « et parfois assez loin, en bordure des routes d’Isangi », dont la chefferie Makanga9. Néanmoins, cette dernière description, recoupée avec d’autres éléments (plus anciens) pourrait apporter quelque lumière.
Ainsi les croquis dressés par HM Stanley, lors de ses expéditions dans les Falls, qui font apparaitre un large site, dénommé Wakanga par l'explorateur, et situé non seulement dans l’axe d’Isangi mais encore, aux abords de la route arabe (principale voie reliant Kisangani aux Uélé)10. Wakanga pourrait provenir du parler local Topoke ou Lokele11 voire Swahili, contrairement aux originaires des Uélé qui, eux, font usage de préfixes tels que bo ou ma, pour désigner l’appartenance à un individu, à un groupe ou un territoire déterminé12. Il s'agirait ainsi plutôt de Makanga.
Bien plus, à ce même emplacement où HM Stanley situe Wakanga, la cartographie actuelle (voir carte n°3 datée de septembre 2017) fait, elle, mention de Babundji, qui constitue une référence claire aux Bambundje du Conquérant Meme et témoigne, pour nous, de la correspondance entre le site Wakanga et le village/chefferie Makanga. Du reste, le patronyme familial nous vient de la rivière du même nom, sur nos terres d’origine Boganzulu.
Sous Gabriel Makanga, le village acquiert son statut de chefferie13. Cependant, le nouveau Chef ne semble pas en bonne intelligence avec l’autorité coloniale ; en 1908, il encourt une sanction administrative de relégation14. Gabriel Makanga quitte finalement Kisangani une douzaine d’années plus tard, pour ses terres natales des Uélé, où la chefferie Moganzulu (voir carte n°4) est désormais instituée en secteur, formé des clans suivants : Bangbalia (Bekwele et Bayeu), Madzama, Mobati, Musumbaga, Bomeme, Bokapu et Benge15.
En 1933, c'est au tour de la chefferie Makanga d'être intégrée dans le secteur nouvellement créé de la Lubuya-Bera ; absorption qui donne néanmoins lieu à compensation puisque les Makanga se voient alors reconnaître, à titre de possession ancestrale, tout le territoire entre la Lindi et Saint-Gabriel16.
Le Chef topoke Ngolo Efeta ya Luete ya Behunda et les Chefferies Litwa et Luete
Gabriel Makanga s’allie au Chef Topoke Ngolo Efeta ya Luete ya Behunda17, dont il épouse la fille, Madama Barbara Bolonga Feza Liogali.
Au moment où le vice-gouverneur général A. Moeller publie son ouvrage sur les migrations en province orientale, Ngolo Efeta (que l’auteur cite comme Chef ETEFA18) est à la tête de la chefferie Litwa, en territoire d’Isangi ; chefferie aujourd’hui disparue des cartographies officielles. D’où l’intérêt de se reporter au croquis tracé par le chercheur Topoke Bilusa Boila19, aisément transposable sur les cartes officielles récentes (cf. carte n°5). La chefferie Litwa y apparaît en jonction avec celle de Kombe, toutes deux fondées par les deux fils premiers-nés de l’ancêtre légendaire topoke, Eso ; respectivement, Gelemba (fondateur de Kombe) et Getoho, fondateur de la Litwa.
Deux points semblent remarquables :
Bien que les archives coloniales à notre disposition20 ne produisent pas de cartographie de la chefferie Litwa, la quasi-totalité des villages énumérées par lesdites archives comme relevant du ressort de la Litwa, se situent bien dans la zone renseignée comme telle par le croquis de Bilusa Boila.
De même, si lesdites archives ne font pas plus mention d’une chefferie Luete (mais parlent plutôt de Yalende et du Chef NGOLO Yabehundu) la série de villages identifiés comme du ressort de Yalende se trouvent précisément dans l’emplacement géographique actuel de la Luete, avec la même correspondance au croquis de Bilusa Boila (voir cartes n°5 & 6).
Pour pousser le raisonnement jusqu'au bout, et compte tenu du fait que la chefferie Lukombe (qui sépare désormais Luete et Kombe-Litwa) semble de création plus fraiche21, on peut considérer la position de Behunda comme charnière, de jonction entre plusieurs autres chefferies topoke22, dont Litwa, à la tête de laquelle se trouve le Chef Ngolo Efeta, dans les années trente.
Loin de représenter une division topoke mineure, la Luete (dit Yalende par la colonie) constitue un ensemble important, d’une superficie d’ailleurs pratiquement égale à celle des chefferies Kombe et Litwa réunies. De son côté, le Chef Ngolo Efeta doit faire figure de proue, à l'instar de son étiquette : le nom du personnage est d'abord suivi du titre plus prestigieux, avant l'adjonction de son fief, Behunda ; sans compter le fait qu’il se trouve à la tête de la chefferie Litwa, au moment où le vice-gouverneur Moëller publie son ouvrage sur les migrations en province Orientale (cf. supra).
Territoires de Yangambi et Turumbu
Pour terminer, et pour mémoire, Marie Yalala Ikenge-Mbuli et sa jeune sœur Salima Marthe, épouse de Joseph Makanga, appartiennent à l’aristocratie possédante du territoire de Yangambi, par leur père Ikenge-Mbuli, frère de Tundu-Lundu, et au territoire Turumbu par leur mère, Joséphine Boumu Ama, fille de Bosandja (son père) et Yatumbo (sa mère).
Sources inédites:
Archives Privées Familiales.
Eugénie Makangha Dunn
TOUS DROITS RESERVES
Courriel: emakangha@yahoo.fr
Du même auteur:
Makanga Henri in: www.kaowarsom.be/en/notices_makanga_henri
Maison cheffale ya Lomba ya Litanda in: www.yalikina.co.uk
REFERENCES
1 Celle-ci contribue notamment à préserver l’usage du parler swahili et, pour les femmes, jouer le rôle de gouvernantes auprès des enfants ; voir la notice biographique de Henri Makanga in www.kaowarsom.be/en/notices_makanga_henri.
2 A. Moëller, Les grandes lignes des Migrations Bantous de la Province Orientale du Congo-Belge, Institut Royal Colonial Belge, T.VI, 1936, p. 69. Voir aussi la carte n°1, qui fait déjà état d'un site dénommé Wakanga; cf. infra.
3 Voir: La Nubie chrétienne à l’apogée de sa civilisation ; in UNESCO : Histoire générale de l’Afrique, III, pp.221-249.
4 C’est elle qui inspire la création d’une nouvelle lignée, bo-Gela, par sa petite-fille Élisabeth Makanga Lisiki Bogela, fille de son fils aîné Henri.
5 Kreutz (1930) – Rapport sur la situation politique et économique du territoire de Buta, 10pp ; District Uélé ; Fonds AIMO (EA.0.0.126).
6 M. Coosemans, Notice biographique de Alikobbo, in Biographie coloniale belge, T.III, 1952, pp.9-10.
7 De son côté, le vice-gouverneur Moëller parle d’incursions diverses, dont celle d’Égyptiens avides d’ivoire en territoire Boganzulu des années 1880-1885.
8 Halleux D., administrateur de territoire principal, Historique de la naissance et du développement du Centre extra-coutumier de Stanleyville, principalement du point de vue foncier ; Rapport de 14 pages dactylographiées du 16 octobre 1941, Archives régionales de Kisangani, Dossier « confidentiel ». Ce document était accompagné de cartes, depuis disparues ; voir note infra, Kisangani 1876-1976, p. 32.
9 Kisangani 1876-1976, Histoire d’une Ville, T.1, La Population, B. Verhaegen (Éditeur) : Léon de St Moulin et consorts, Presse Universitaire du Zaïre, 1975, p. 32
10 Par ailleurs, Léon de St Moulin observe que, les Arabes n’ayant pas créé de routes, il ne peut s’agir que de pistes établies par les autochtones eux-mêmes, au cours de leurs mouvements migratoires ou randonnées pour des motifs de prospection ou d’échanges commerciaux ; op. cit. Kisangani 1876-1976, p. 31. Cf. encore infra la carte n°2.
11 Ce sont en effet les Lokele et Topoke qui utilisent des préfixes tels que wa et ya, parfois sa, pour désigner l’appartenance d’un individu à son groupe ou territoire. Or, « Wakanga » ne correspond à aucun groupe de la région, à dominance Topoke-Lokele. A remarquer enfin que l’explorateur fait la même inversion sur ce document, mentionnant les Lokele Yawembe comme Mawembe.
12 Landeghem A. (1914), Étude préparatoire sur les Babua, 4pp. ; Fonds AIMO (EA.0.0.104)
13 Op. cit. Kisangani 1876-1976, p. 32
14 Notices relatives à l’Etat Independent du Congo et projets antérieurs ([1876-1884] 1885-1908), p.212.
15 Id. Kreutz.
16 Archives également perdues.
17 De prononciation swahilie : ya Loete ya Beonda. A remarquer encore que la dénomination prend les formes les plus variées dans les archives coloniales, désignant différentes formations voisines topoke, du territoire d’Isangi, tels que yaBahondo, yaBihunda, yaBehundu etc. L’administrateur de territoire Appermans parle d’ailleurs de dissémination, ayant concerné les Yabihunda, notamment.
18 Op. cit., p. 198
19 Bilusa Boila Boingaoli, Recherche sur l’identité ethnique du peuple Topoke (Haut-Zaïre), in Civilisations [en ligne], 41-1993 ; https://Civilisations.revues.org/
20 Appermans, L. (1931) Rapport d’enquête, Chefferie Liutua, Territoire Topoke, District de l’Aruwimi, 6pp, Fonds AIMO (EA.0.0.253) ; Noirot, C. Notes sur l’organisation politique des Territoires, district de l’Aruwimi, Province Orientale, 1930, 30pp ; Fonds AIMO (EA.0.0.155).
21 Lauwers, S. (1938), Enquête préliminaire à la constitution de la chefferie Lukombe ; Territoire de Isangi, 2pp ; Fonds AIMO (EA.0.0.255).
22 Voir A. Moeller, op. cit., p.197-198 ; C. Noirot, id., pp.22 et 26.
Cartographie 1 : https://library.princeton.edu/visual_materials/maps/websites/africa/stanley/stanley-maps.html; Map showing the Western Half of EquatorialAfrica and the Explorations by Land and Water of Henry M. Stanley in the Years 1874-77. Carte de l’expédition anglo-américaine de Henri Morton Stanley, 1874-77. L’explorateur fait mention de [plusieurs] villages, démontrant ainsi l’importance du site.
Observation : L’une des premières représentations du site Wakanga par HM Stanley.
Cartographie 2 : Stanley, Henry M. A map of the Great Forest Region: showing routes of the Emin Pasha Relief Expedition, from the River Congo to the Victoria Nyanza. New York: Charles Scribner's Sons, 1890. Retrieved from the Library of Congress, www.loc.gov/item/2006627674/ Carte de l’expédition de secours à Emin Pasha 1886-1890.
Observation : On perçoit l’importance du site nommé "Wakanga" par l’explorateur, la situation de Wanie Rukula et la route arabe, vers les Uélé.
Cartographie 3 : Extrait du Référenciel Géographic Commun ; www.unocha.org/drc ; République Démocratique du Congo – Province Tshopo -Territoire Isangi ; Carte administrative – 15 septembre 2017
Observation : On remarquera que Babundji (Bambundje) se trouve aujourd’hui à l’emplacement exact où se trouvait le site Wakanga, sur les croquis de HM Stanley.
Cartographie 4 : Extrait du Référenciel Géographic Commun ; www.unocha.org/drc ; République Démocratique du Congo – Province Bas-Uele -Territoire Buta ; Carte administrative – 25 janvier 2017
Observation : La Chefferie Moganzulu est l’une des plus vastes du territoire de Buta.
Cartographie 5 : Voir : Bilusa Boila Boingaoli, « Recherche sur l’identité ethnique du peuple Topoke (haut-zaïre) », Civilisations [En ligne], 41-1993, mis en ligne le 28 juillet 2009 ; http://Civilisations.revues.org/
Observation : Ce croquis a un avantage historique évident, en ce qu’il permet notamment de situer la chefferie Litwa, aujourd’hui disparue des cartographies officielles.
Cartographie 6 : 2017 Based on OCHA (extrait de la carte administrative du territoire de Isangi, RD Congo)
Observation : Villages historiques de Yalende/Luete et Litwa; cf. le croquis de M. Bilusa ci-avant.